A l’occasion de la journée de restitution des observatoires à destination des gestionnaires d’espaces verts, furent présentés les indicateurs de suivi des papillons et des plantes. Des outils efficaces permettant d’évaluer la biodiversité et le mode de gestion pratiqué. Explication.
Vous êtes gestionnaire d’espace vert, de parc, de square ? Grâce à deux protocoles de suivi de la biodiversité vous pouvez d’une part évaluer la valeur intrinsèque de votre site mais également constater son évolution au cours du temps. Notamment celle qui peut survenir à la suite de modifications de pratiques : réduction du nombre de tontes des pelouses, exportation des résidus de fauches etc.
En effet, de plus en plus, les gestionnaires souhaitent adopter une gestion favorable à la biodiversité. Mais pour convaincre les collectivités, faut-il encore disposer d’éléments chiffrés, de preuves scientifiques de son efficacité. Propage (papillons) et Florilèges (flore des prairies urbaines) donnent la possibilité de produire des indicateurs de votre milieu. Indicateurs qui, comparés aux moyennes nationales, vous diront si oui ou non il fait « bon vivre » dans vos jardins.
SUIVRE LES PAPILLONS AVEC LE PROPAGE
Créé en 2009, le Propage permet de suivre les papillons de jour au sein des espaces verts. Depuis sa création, 1180 transects (parcours d’observation) ont été suivis et 70911 papillons observés. Les comptages se font dans des habitats divers : prairies (40%), mais également pelouses (15%) et squares urbains (14%). Ainsi, fort de bientôt 10 ans de suivis, l’analyse des données à l’échelle nationale apporte des résultats qui confortent la robustesse du protocole. Un exemple : dans les prairies non fauchées ou tardivement l’abondance moyenne de papillons augmente d’ 1/3 par rapport aux prairies fauchées plusieurs fois ou précocement. Fréquence et période de fauche ont donc un impact non négligeable sur la biodiversité ! Globalement les prairies et les friches semblent être les habitats les plus favorables aux papillons.
Le protocole consiste à dénombrer et identifier les papillons les plus communs, en se déplaçant dans une parcelle (transect). Seuls les papillons observés dans une boîte imaginaire de 5 mètres de côté autour de l’observateur sont comptés. Le temps de parcours du transect doit être de 10 minutes (1 mètre en 2 secondes), ce qui correspond à une distance de 100 à 300 mètres, en fonction de la richesse du milieu. En savoir plus.
Calculer l’« indice qualité » de mon milieu
Si ces résultats nationaux donnent une idée des pratiques à privilégier, comment savoir si mon espace vert est favorable ou non aux papillons ? Faut-il que je maintienne mon mode de gestion ou à contrario que je l’ajuste voire le modifie ? Si vous participez depuis un certain temps, vous pouvez, sur simple demande, produire un « indice qualité » de vos sites d’observation. Plus l’indice est élevé, plus l’habitat favorise les papillons ! Surtout ils permettent de vous positionner par rapport aux tendances nationales et de répondre à la question cruciale : « Est-ce que les variations que j’observe sur mon site sont liées à l’impact de ma gestion ou sont-elles liées à des variations plus globales dont je n’ai pas la maitrise ? »
Cet indice de qualité se décline en deux mesures plus précises qui vous permettent d’affiner vos évaluations :
Indice 1 : Richesse/abondance
Cette mesure donne une bonne première idée de la qualité du milieu. En reportant sur le graphique la richesse et l’abondance moyenne des papillons depuis votre première année de participation, on obtient un point. La croix représente la médiane des résultats de tous les participants. Si votre point est au-dessus de la barre horizontale, la diversité de vos espèces est globalement supérieur à la moitié des données nationales. Même chose pour l’abondance si votre point se trouve à droite de la barre verticale. Vous l’aurez donc compris, l’idéal, pour prétendre avoir un site propice aux papillons : se trouver en haut à droite ! Attention cependant : l’indicateur reste relatif, on ne se situe que par rapport à l’ensemble des participants.
Exemple. Le parc du Sausset est un véritable poumon vert au cœur de la Seine Saint Denis. Issu de l’aménagement des grands parcs de la région au tournant des années 60, il mixe en son sein des milieux très variés : bocages, forêts, prés, pelouses. La gestion de ces espaces s’appuie sur des protocoles de suivi de la biodiversité et en particulier le Propage depuis sa création en 2009. Les observations se font sur plusieurs transects répartis dans différents habitats et modes de gestions.
Ici l’abondance et la diversité des papillons ont été reportés pour chacune des prairies du parc du Sausset. Globalement, si la diversité des espèces est relativement hétérogène, voire vraiment supérieur pour 5 sites, l’abondance atteint pour un seul site la moitié supérieure de l’indice national. Les prairies du parc sont donc riches en termes d’espèces, mais leur abondance reste assez faible.
Comment l'expliquer ? On peut penser que la gestion des prairies du Sausset répond de manière appropriées aux exigences écologiques de plusieurs espèces, mais peut-être que l’environnement très urbanisé du parc en limite leur abondance. Ces hypothèses demandent encore à être vérifiées.
Indice 2 : La sensibilité à l’urbanisation
Les suivis Propage se faisant majoritairement en milieu urbain, il est intéressant de considérer la sensibilité des papillons à cette urbanisation. Car toutes les espèces n’y réagissent pas de la même manière ! Il y a les « urbanophiles », comme le Tircis, le Brun des Pélargonium ou l’Hespéride tacheté et les « urbanophobes », tels que le Myrtil, le Demi-deuil ou le Citron. Ainsi, comme vos données renseignent sur les groupes d’espèces observées, on peut savoir, en faisant la moyenne des sensibilités, si vos papillons sont globalement tolérants ou hostiles à l’urbanisation.
Suivis dans le temps d’une prairie dans le Parc du Sausset
Tous ces indicateurs donnent également la possibilité de voir l’évolution d’ année en année. Voici un exemple d’un suivi d’une prairie du parc du Sausset. Sont calculés, pour chaque année, l’indice de richesse spécifique, d’abondance et de sensibilité à l’urbanisation.
Comment interpréter ces graphiques ? Sur ce transect effectuée dans une prairie, la richesse spécifique suit les variations de la moyenne nationale (courbe rouge). En revanche, l’abondance varie d’année en année. Cette dernière est souvent plus élevée et fluctue fortement par rapport à la moyenne nationale. Un résultat encore plus prononcé pour l’indice de sensibilité à l’urbanisation qui est de manière constante au-dessus de la moyenne nationale.
Devant ces « bonnes notes », le gestionnaire du parc du Sausset Nicolas Buttazzoni avance une explication : « l’environnement alentour est globalement favorable à la prairie, c’est un lieu semi ouvert avec des fourrés en développement. Il semble que le milieu fasse office de zone de refuge. »
Si on peut considérer cette prairie plutôt favorable aux papillons, ce n’est pas le cas pour toutes les zones du parc. Sur un autre transect, la richesse et l’abondance s’avèrent nettement inférieures à la moyenne nationale… L’intéressé livre une hypothèse : « On a subi beaucoup de perturbation à cet endroit, et notamment l’implantation d’un immense château d’eau… Le remblai présent sous le sol perturbe le milieu et la végétation qui se développe est très appauvrie »
Dans un troisième résultat, les chiffres ne donnent rien de mieux. L’abondance en particulier se trouve toujours nettement en dessous de la moyenne nationale… Mais pour le coup, le gestionnaire n’hésite pas sur les causes potentielles : « Depuis 2002 nous faisons une fauche précoce fin juin et une tardive en août. Ces résultats nous permettent de voir l’impact de l’intensité de la fauche. Les résultats sont donc liés à la gestion. Dès qu’on fait un deuxième propage en juillet après la fauche précoce, ça se voit immédiatement : il ne reste plus rien. »
Parc du Sausset en Seine-Saint-Denis
SUIVRE LES PLANTES AVEC FLORILÈGES- PRAIRIES URBAINES
Créé en 2014, Florilèges - prairies permet d’évaluer et de suivre la qualité floristique des prairies en relation avec leurs pratiques de gestion. Depuis 4 ans, 320 prairies ont été suivies au moins une fois sur 156 sites. En 2018, 50625 plantes ont été relevées.
Florilèges - prairies consiste à recenser 60 espèces dans 10 carrés d’1m² au cœur même de la prairie. Plusieurs outils sont fournis aux gestionnaires : un livret d’accompagnement au protocole, des fiches de terrain complétées d’un guide d’identification des plantes. En savoir plus.
6 indicateurs « d’intérêt écologique »
Comme pour le Propage, Florilèges - prairies a défini des indicateurs écologiques : le nombre d’espèces, leur fréquence, leur typicité, leur attrait pour les pollinisateurs et leur dépendance vis à vis de ces pollinisateurs. Enfin le dernier indice révèle leur dépendance aux animaux pour la dispersion de leur semence (plantes zoochores). Les résultats nationaux nous montrent que ces derniers dépendent du mode de gestion appliquée.
Par exemple, sur les 60 espèces à identifier grâce au guide, 10 en moyenne sont observées dans les prairies broyées ou coupées contre 13 en moyenne dans les prairies pâturées (résultats 2016). La typicité, qui correspond à la proportion d’espèces spécifiques des prairies, elle augmente dans les prairies qui subissent une fauche, où la moitié des espèces sont typiques. Sans gestion aucune, elles ne représentent que 40% de l’ensemble des espèces totales.
A côté de ces indicateurs de qualité écologiques sont proposés deux indicateurs de perturbation du milieu :
-L’indicateur d’enrichissement du sol (par des déchets, des dépôts de pollution atmosphérique, de l’urine, des engrais) donné par la proportion d’espèces nitrophiles, c’est-à-dire des plantes qui tolèrent les milieux riches en azote.
- L’indicateur de perturbation mécanique donné par la proportion d’espèces annuelles. Contrairement aux espèces vivaces, les plantes annuelles sont souvent des pionnières ; elles s’installent suite au retournement des sols par des engins ou par les terriers de lapin.
A partir de ces 8 valeurs de référence, il est possible de comparer les résultats locaux avec les moyennes nationales et ainsi de se situer.
Exemple d’une prairie « très typique »
Cette prairie de l’Essonne de 200 m² a été créée il y a plus de 10 ans sur d’anciennes cultures et friches. Elle est fauchée et broyée tardivement sans exportation. Si on calcule les 8 indicateurs précédents, on obtient le graphique suivant.
Une prairie « très typique » avec 84% d'espèces prariales
L’excellent résultat de l’indicateur de typicité est flagrant : 84% d’espèces prairiales ! La fauche tardive favorise en effet les plantes typiques des prairies. Les observateurs en ont mis en évidence un certain nombre : le Trèfle champêtre, Aigremoine eupatoire, Salsifis des prés, Pâturin des prés, Plantain lancéolée, Carotte sauvage, Achillée millefeuille. Parmi elle, une seule espèce de friche : La Picride fausse vipérine...
Malgré tout, ça n’est pas suffisant : cette prairie est pauvre en espèces et présente peu d’attrait pour la faune. Il sera intéressant de suivre son évolution dans le temps pour s’assurer que ces indicateurs s’améliorent.
Une prairie avec un fort intérêt écologique
La prairie du moulin Joly de la ville de Colombes a été créée en 2014 avec au préalable un apport de terre végétale et un labour.
Une prairie avec un fort intérêt écologique, tous les indicateurs présents sont dans le vert
Avec 2 tontes par an l’été, cette prairie ne correspond pas vraiment aux pratiques généralement recommandées (plutôt 1 fauche tardive). Par contre, elle bénéficie d’un export des résidus de fauche, ce qui est en revanche fortement recommandée. Relativement jeune, on voit pourtant que les indicateurs de qualité écologique sont à chaque fois supérieurs aux moyennes nationales (trait noir) ! " Il y en avait que deux dans toute la France ! " précise Audrey Muratet, coordinatrice du programme pour la région Île-de-France.
"Par contre, les niveaux de perturbation sont plus élevés que la moyenne, le suivi dans le temps nous permettra de vérifier (ou non) que l’export des résidus aura un effet bénéfique sur le taux de nitrophilie. Mais aussi que l’effet du labour à la mise en place de la prairie sera de moins en moins visible sur la proportion d’espèces annuelles."
En suivant les paillons et les plantes dans les espaces verts, les gestionnaires ont ainsi la possibilité, grâce à nos indicateurs, d’évaluer la biodiversité de leurs sites, mais aussi de comprendre leur évolution. Avec un objectif : évaluer les modes de gestion. Pour le Propage nous avons pris des exemples concernant les prairies mais sachez que les indicateurs peuvent s’obtenir, encore une fois sur demande, pour n’importe quel milieu : pelouses, bois, cimetières etc. Comme son nom l’indique Florilège - prairies urbaines ne s’applique lui qu’aux prairies. Pour des résultats plus fins, il est enfin conseillé d’appliquer et de croiser les deux protocoles. Car plus on dispose d’indicateurs, plus ces éléments chiffrés pourront guider gestionnaires mais aussi décideurs vers des parcs et jardins plus accueillants.