Amandine Gallois vient de rejoindre l’équipe Vigie-Nature pour analyser les données Florilèges-prairies urbaines. Un observatoire qu’elle connaît bien pour y avoir consacré, cette année, une partie de son stage de fin d’étude. Elle revient sur ses résultats qui apportent du crédit à un milieu encore peu étudié: la prairie urbaine.
Vigie-Nature : De plus en plus de prairies parsèment les parcs et jardins des villes. Comment expliquer ce phénomène ?
Amandine : Depuis les années 90, les gestionnaires et les concepteurs d’espaces publics repensent leur représentation de la nature en ville. Progressivement, à la faveur du développement durable et de la préservation de la biodiversité, la gestion uniforme des espaces verts – avec l’idée d’une nature ordonnée et soignée – a fait place à ce qu’on appelle une gestion différenciée. Celle-ci pourrait se résumer ainsi : « le bon entretien au bon endroit ». Une pelouse servant de terrain de football, par exemple, sera tondue régulièrement pour rester un gazon. Par contre, un talus en bord de chemin sera tondu moins fréquemment et pourra devenir une prairie. Cette contextualisation de la gestion permet de diversifier les habitats tout en s’adaptant à l’usage qui en est fait par le public. D’où la présence plus importante qu’avant de prairies, milieux faciles d’entretien, peu onéreux et favorables à la biodiversité.
Justement, pour connaître les caractéristiques écologiques de ces prairies, tu t’es plongée dans les données de notre observatoire Florilèges – prairies urbaines (suivi des plantes des prairies urbaines), que tu as comparées à des données équivalentes sur des toits végétalisés et en agriculture urbaine. Qu’as-tu observé ?
En comparant les données Florilèges (159 prairies suiviesentre 2015 et 2018) avec d’autres données provenant de deux études menées par l’ARB – îdF sur les toits et les sites d’agriculture urbaine, j’ai pu montrer que les trois milieux avaient chacun leurs caractéristiques.
A côté des fruits et légumes plantés par la main de l’homme, de nombreuses plantes spontanées se développent dans les potagers urbains. Parmi les trois milieux, c’est le plus favorable à l’implantation d’espèces végétales. En revanche comme les sols sont régulièrement mis à nu, retournés, piétinés, on retrouve davantage d’espèces annuelles (la Véronique de Perse par exemple). De leur côté les toits végétaux accueillent aussi beaucoup d’espèces annuelles mais qui se caractérisent par une plus faible tolérance aux perturbations chimiques (engrais, déchets, urines…) et une forte disponibilité en nectar. Le toit est donc très attractif pour les pollinisateurs.
Les prairies sont particulières à plusieurs titres. Elles abritent surtout des plantes vivaces - pouvant vivre plusieurs années – et peu tolérantes aux perturbations mécaniques (piétinement, travail du sol…). La présence de ces graminés en font un milieu stable et très spécifique qui sert de refuge à une faune tout aussi spécifique, diverse et variée (vers de terre, mammifères, oiseaux etc.).
Amandine Gallois (au centre) lors d'une journée de formation Florilèges
On a tendance à l’oublier aujourd’hui. On parle beaucoup d’agriculture urbaine et de toits végétalisés comme moyen de retrouver une certaine biodiversité en ville. Ils sont un peu l’incarnation de la végétalisation urbaine. Or chacun de ces trois milieux que j’ai étudiés présentent un assemblage d’espèces propre et complémentaire aux autres. Il ne faut donc pas négliger l’apport des prairies urbaines. A travers mon étude je souhaitais leur rendre justice en montrant leur originalité, donc leur préciosité. D’autant qu’en dehors des agglomérations, sous l’emprise de l’agriculture intensive, les prairies ont fortement régressé.
Une autre idée reçue court : les prairies seraient le fruit de l’absence d’entretien, du délaissement. Or, à la différence des friches, elles doivent être entretenues. Le type de gestion détermine même la qualité de la prairie !
Oui c’est l’autre grand résultat de mon étude. Il ne faut pas oublier que la prairie est un milieu de transition. Si on fauche trop on obtient un gazon, si on laisse trop faire on risque de voir un petit bois émerger. Entre les deux, il y a plein de nuances. Avec quatre ans de données Florilèges, nous avons montré à quel point les pratiques influencent la végétation des prairies urbaines.
Aujourd’hui les jardiniers procèdent à deux types de fauches différents, qu’ils appliquent une ou deux fois dans l’année : la « fauche coupée », c’est-à-dire une coupe régulière de tous les végétaux avec une barre de coupe, et la fauche broyée – l’herbe passe dans un gyrobroyeur et ressort complètement pilée. Or, je me suis rendue compte que ces deux méthodes n’ont pas le même impact sur la biodiversité. La seconde génère une grosse perturbation jusqu’à empêcher la pousse d’espèces vivaces. Ce qui n’est pas le cas de la fauche coupée, dont l’impact est bien moins traumatisant et même propice au développement d’espèces prairiales. La raison tient notamment au fait que, contrairement au produit broyé, celui de la fauche coupée est en général exporté en dehors de la prairie, ce qui n’étouffe pas la végétation et permet d’appauvrir les sols en azote (trop riches en ville).
Le pâturage est l’autre grand mode de gestion. En broutant l’herbe, les animaux remplacent la faucheuse. Surtout, le pâturage crée des hauteurs de végétation différentes : il y a des zones nues, des zones plus denses, ce qui facilite la colonisation par de multiples espèces. Le pâturage façonne de très belles prairies avec une diversité de végétaux incroyable. Et puis cela fait un peu d’animation pour le public !
Proportion sur les quatre ans des modes de gestion effectués pour chaque région
Ces résultats sont destinés aux gestionnaires. Ont-ils vocation à guider leur pratique ?
C’est l’objectif oui. Les gestionnaires se demandent souvent quelle gestion appliquer en fonction de leur besoin, nous avons maintenant des pistes. Les résultats de cette étude nous permettent aujourd’hui de préconiser une fauche coupée (avec exportation des résidus) non fréquente, annuelle, mais régulière. Ou alors un pâturage pour permettre le développement des espèces prairiales et l’enrichissement du milieu en espèces floristiques diverses.
Mais il n’y a pas de recette miracle, ces pratiques sont à adapter en fonction des prairies et de leur évolution. Il est primordial de prendre en compte le contexte local pour adapter la gestion selon ses besoins et ses objectifs. Pour ce faire nous avons construit des indicateurs (perturbations, de diversité florales etc.) qui mettent en évidence la qualité de chaque prairie. Ces graphiques transmis aux gestionnaires permettent ensuite de mettre en place une gestion qui leur est propre.
Si les gestionnaires et les collectivités les affectionnent, c’est aussi que la prairie possède d’autres atouts. Elle peut s’avérer très esthétique au printemps, durant la floraison. Elles restent par ailleurs peu onéreuses à implanter et entretenir. Mais encore faut-il communiquer auprès des citadins pour obtenir leur consentement. Pour les avoir rencontré plusieurs fois, certains gestionnaires m’ont confié avoir déjà subi le scepticisme des riverains trouvant cela négligé, voire sale… Il faut donc expliquer les bénéfices et développer des activités récréatives comme le pâturage, une pratique en général bien reçue par le public. Un exemple : le projet d’écopâturage de Montreuil, avec ses centaines de chèvres qui viennent chaque année brouter une grande prairie, pour le plus grand plaisir des habitants de la ville.
Ta mission à présent à Vigie-Nature ?
Je me lance dans la rédaction du Bilan Florilèges 2019 que vous recevrez bientôt, dans lequel je vais analyser les données à l’échelle nationale. J’en profite pour remercier tous les participants à Florilèges-prairies urbaines qui m’ont permis de réaliser ce mémoire et d’entamer cette nouvelle mission.