Une étrange structure rectangulaire a été conçue en plein coeur de Rouen. L'objectif de ce site unique : comparer 42 prairies différemment entretenues.
Lorsqu'on observe depuis les satellites de Google Earth le site de la Petite Bouverie à Rouen, on se croirait au générique de Roswell : un champ, de grands tracés réguliers... Sauf que là, pas de cercle en forme de soucoupe volante mais un quadrillage sur fond vert. Autre différence : il n'y a aucun doute sur l'origine humaine de la structure. Pierre Arnaud Prieur, chargé de gestion différenciée à la Métropole Rouen Normandie me le confirme : "Nous avons créé ce site de 42 placettes expérimentales sur laquelle sont appliqués différents modes de tonte. Le but étant d’évaluer l’impact de la gestion différenciée sur la biodiversité."
En 2013 les premières prairies urbaines ont fleuri dans la métropole normande, dans le cadre d'un plan d'action de gestion différenciée de l'espace public. Favoriser la biodiversité sur le territoire faisait partie des engagements. Pour évaluer l'efficacité des prairies, on commence à procéder, dès 2014, à des inventaires avec les programmes Florilèges (flore) et Propage (papillons). Mais Pierre Arnaud et son équipe ont voulu aller plus loin. "On a vite été confronté à une problématique pour mesurer les impacts de nos changements de pratiques. Pour cette raison nous avons voulu mettre en place un site expérimental pour se rendre compte si le fait de tondre ou faucher fréquemment avait un impact sur la biodiversité."
CAMAÏEU
Et on a vu grand dans la ville "aux cent clochers". C'est sur une vaste prairie d'un complexe sportif de Rouen qu'est né ce premier site expérimental de gestion différenciée en France. Le concept ? On a tout d'abord tracé dans l'herbe un rectangle quadrié, contenant 42 carrés contigus. Une sorte de grand "carton de loto". C'était en 2015. Depuis, dans chaque "case" s'applique une gestion différente. Sur la première rangée on ne fait rien, on laisse pousser sans intervenir. Sur la deuxième rangée on fauche une fois par an ; sur la troisième deux fois et ainsi de suite jusqu'à l'autre extrémité où on coupe tous les 14 jours. Enfin, sur une moitié de la parcelle, les herbes coupées sont ramassées, sur l'autre elles sont laissées sur place.
Avec ce gradient de fauches sur un même site, il devient ensuite facile de comparer les gestions. Déjà visuellement : après quelque temps un camaïeu est apparu, s'étalant de la pelouse à la prairie, du vert gazon au jaune. Cela montre bien que tout a évolué différemment. Le protocole Florilèges, notamment, a permis d'affiner : "Au bout d'un an les premiers inventaires floristiques nous ont permis d'observer des espèces variées. Par exemple, la pâquerette se retrouve dans pelouses mais pas dans les prairies. A l'inverse de la Berce ou la Carotte sauvage qu'on ne retrouve pas dans les pelouses fréquemment tondues."
Au premier plan, une fauche fréquente sans ramassage d'herbe, au second plan une fauche moins fréquente
Quelle meilleure idée pour démontrer visuellement l'impact des différentes pratiques! Aujourd'hui à la Petite Bouverie, on accueille toutes sortes d'acteurs pour sensibiliser à la gestion différenciée : communes, entreprises, particuliers, etc. "Nous recevons par exemple des agents communaux qui se posent des questions techniques sur la fauche, mais aussi des élus qui veulent voir à quoi cela ressemble avant de se lancer." Il y a les particuliers qui s'engagent dans le développement durable. "Ils viennent pour se renseigner sur ce que font les communes mais aussi sur ce qu'ils peuvent mettre en place chez eux." Et il y a ceux qui vivent autour, rassuré par ce mystérieux rectangle vert empêchant l'installation d'un nouveau bloc de béton...
EN ATTENDANT 2020...
Alors "carton plein" pour les gestionnaires de la Petite Bouverie ? Patience, car le projet a également une visée scientifique. En plus du protocole Florilèges, des inventaires sont faits par des étudiants de licence qui transmettent leurs données à un laboratoire de l'université de Rouen (Ecodiv'). Les analyses en cours donneront lieu à une publication scientifique en 2020, à la fin de l'expérimentation. Impossible de communiquer les premiers résultats, Pierre-Arnaud Prieur se contente de me confier une tendance. "Lorsqu'on exporte l'herbe après avoir tondu, la diversité végétale est plus riche que si on laisse sur place". Un phénomène connu, comme ceux qui porteront sur l'influence des fréquences de tonte sur la flore. Mais pour une fois nous aurons des chiffres, et un véritable outil de comparaison.
En tout cas si vous êtes dans le secteur n'hésitez pas à aller voir cette œuvre unique et discuter avec les agents qui entretiennent le site. Sinon, pour vous y promener virtuellement c'est par ici : https://earth.app.goo.gl/nVz6d