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Les actualités

    18/05/2021

    Les « prairies urbaines » : ça grouille de vie !

    Dans la commune de Vauréal dans le Val d’Oise, à 25 km au nord de Paris, on a décidé un beau jour d’arrêter… de tondre régulièrement les espaces verts. « En 2014, nous avons été l’une des premières communes à nous y mettre dans notre département, juste après la Seine-Saint-Denis. Depuis on n’a jamais arrêté » me raconte Christophe Etchemendy, Responsable des espaces verts de la ville. Cet homme dynamique et avenant, passionné par la nature qu’il côtoie depuis l’enfance s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir une douzaine de prairies urbaines.  Selon lui ces espaces (presque) livrés à eux même montrent plein de bénéfices, écologiques, économiques et même sociaux. Témoignage entre deux "fauches tardives" d'octobre.

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    Relevé des différentes espèces de plantes au coeur d'une prairie de Vauréal

     

    Des fleurs encadrées

    Pour faire d’un gazon ras, du style parcours de golf, une prairie urbaine, il suffit  de ne sortir la tondeuse qu’une seule fois par an. Au lieu d’une dizaine de fois habituellement. Cette « fauche tardive », effectuée en général fin octobre, fait évidemment le bonheur de toute sorte d’espèces de plantes qui n’existaient pas auparavant.  « Sur des pelouses devenues des prairies il nous arrive de trouver des trèfles communs ou porte-fraises, constate Christophe,  mais aussi de vraies plantes des prairies (poacées ou graminées), elles nous prouvent qu’on est bien face à un changement de milieu. Et à une diversification des espèces ! »

    Pour confirmer cette transformation, le service communal a mis en place le protocole Florilèges-prairies urbaines, observatoire de science participative porté entre autres* par Vigie-Nature. L’objectif : mettre en lien les pratiques de gestion des prairies avec la biodiversité observée. « Le protocole est très simple, explique-t-il tout en me présentant de grands cadres en bois, il s’agit de placer près du centre de la prairie 10 quadras d’un mètre de côté puis de relever les espèces qui se trouvent à l’intérieur des carrés. Pas besoin de les observer toutes, mais seulement d’indiquer la présence ou l’absence de 60 espèces répertoriées dans un guide ». Et ce, chaque année, entre le 1er juin et le 31 juillet, et au même endroit. L’idée n’est pas tant de découvrir de nouvelles fleurs rares ou inconnues – bien que cela soit tentant, avoue-t-il  - mais de vérifier d’une année sur l’autre une intuition, comme la diversification des plantes. « En général les gazons d'agrément ne sont composés que de deux ou trois espèces de graminées, ce protocole nous a permis d’en répertorier une douzaines dans chaque prairie ! » Enfin ces informations saisies sur la plateforme Florilèges sont ensuite reçues par le Muséum de Paris qui crée un vaste réseau de données scientifiques. Dans l'objectif, à terme, de mieux connaître cet environnement et de guider les gestionnaires dans leurs pratiques (pour en savoir plus je vous invite à jeter un oeil au Bilan 2016).

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    Les fameux "quadras" du protocole. On ne note que les plantes contenues dans le cadre !

     

    Sherlock Holmes

    Aujourd’hui à Vauréal, Christophe est parvenu à mobiliser 7 personnes jouant les Sherlock Holmes à travers les prairies de la commune. Des jardiniers municipaux qui ont reçu une petite formation dispensée par l’association Natureparif (cofondateur de Florilèges), de manière à connaître les rudiments de botanique et la mise en place du protocole. « Au départ on n’est pas des experts en botanique ! rappelle Christophe, c’est pour cela qu’on a un protocole à la portée de tous. Le petit guide botanique « La clé des prairies » évite de se tromper, de confondre une fleur avec une autre même si leurs caractères se ressemblent. On se dit souvent, par exemple « attention il n’y a pas le petit centre jaune ici, c’est une autre espèce ! » »

    « L’an prochain, nous serons 9 ! » se réjouit Christophe. Le programme Florilège, assez divertissant, peu contraignant, rencontre un fier succès. « Pendant la période de relevés les agents ne pensent qu’à une chose le matin, aller poser les quadrats et commencer à identifier » avoue le chef d’équipe. Mais, en plus de se sentir utiles, cet exercice permet aux professionnels de découvrir leur environnement de travail sous un nouveau jour. « En faisant cela ils découvrent que l’herbe a laissé place à des plantes, à des fleurs ; ils voient que certaines plantes ont évolué d’une année sur l’autre, d’autres sont apparues, d’autres encore ont disparu... Ils comprennent ainsi, d’après leur retour, les enjeux de la mise en place de cette gestion différenciée. » Et pourtant, tous n’étaient pas convaincus dès le départ : « Lorsque je proposais d’arrêter de tondre certains me regardaient d’un mauvais œil : « tu comprends, ça fait moins propre… »

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    Exemple de relevé d'une prairie à Vauréal

     

    « Nid à tiques » ?

    Si la ville de Vauréal cherche à étendre cette gestion différenciée, Christophe admet que « parfois ça ne passe pas ». « On avait essayé un jour de faire une fauche tardive pas loin d’une école, on avait même tondu un grand carré au centre pour laisser les enfants jouer au foot. Mais on a fini par l’abandonner, même si les élus nous ont soutenus au départ. » La raison ? L’aspect « délaissé »,  « pas propre », une réprobation d’ordre esthétique que Christophe doit prendre en compte : « il faut aussi écouter la population, ne pas être obtus. Quitte à freiner nos projets ». L’idée est donc de « dessiner un paysage différent » tout en montrant que l’espace n’est pas abandonné, que ça reste entretenu… Une autre accusation récurrente porte sur « le manque d’hygiène ». Les prairies seraient de véritables « nids à tiques ». Christophe soupire… « Les fauches tardives n’accueillent pas plus les tiques que les zones tondues, c’est une idée préconçue. Les tiques vivent dans les milieux qui abritent les hôtes (chevreuils, sangliers)  sur lesquels ils pourront se nourrir et être transportés. Que les propriétaires de chiens se rassurent ! »

    Mieux pour moins cher !

    Heureusement les mauvaises critiques sont rares : d’une manière générale, les riverains sont satisfaits de ces transformations, et le font savoir : « souvent lorsqu’ils nous croisent en train de faire nos relevés Florilèges, ils nous disent « moi j’aimerais bien participer aussi ». C’est encourageant ! ». Ce qu’il faut avant tout c’est que la population comprenne les bienfaits de ces prairies. L’outil le plus efficace reste la communication : « devant chaque prairie, par exemple, nous avons installé une pancarte « fauche tardive » qui explique les bénéfices en terme de biodiversité ! » 

    En plus de la bonne santé environnementale, il est un argument imparable que Christophe n’hésite pas à brandir face aux élus : le bénéfice économique ! Pas besoin d’être expert en budget pour comprendre que réduire les fréquences d’intervention évite de dépenser. Mais pas seulement : « cela représente des litres et des litres d’essence en moins par an, donc moins de rejet de CO2 mais aussi du temps en plus pour faire autre chose. On est 12 agents communaux pour 48 hectares d’espaces vert, on n’a pas trop le choix. Ce mode de gestion s’est imposé de lui-même » reconnaît-il.

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    Qui a dit que les prairies n'étaient pas fleuries ? (Marguerites communes)

     

    L’appétit vient en mangeant

    Aujourd’hui les initiatives de Christophe sont fortement encouragées par la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise et la Maire de Vauréal. Sa dernière fierté : deux libellules (sur 5) décernées par un nouveau label Ville-Nature qui récompense toutes les actions en faveur de la biodiversité. Lorsque je lui demande s’il envisage de poursuivre le protocole Florilèges, voire d’en mettre en place de nouveaux, il me répond que « l’appétit vient en mangeant » (l’heure du déjeuner approchait) : « On y prend gout. Vous commencez par suivre un protocole, vous en tirez des bénéfices– car il y a toujours des bénéfices – puis vous en faites un deuxième, un troisième… Car en plus des relevés de plantes on a mis en place un protocole vers de terre (OPVT), sur les mêmes praires, avec des relevés aux mois de mars-avril pour vérifier la qualité de nos sols. On devrait aussi bientôt se mettre au suivi des oiseaux avec le programme STOC ! » Chapeau.

     

    Crédits photos : Christophe Etchemendy

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